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Collection du trouvère
4 novembre 2008

Interview de SONIA TRAUMSEN

Sonia depuis quand écrivez vous ?

J'écris depuis les premiers gribouillis pour imiter mon père, voilà qui n’est pas très original, puisqu’il n’était pas Dieu ; mais il parlait français.
Mais il y avait déjà de la libido là-dedans, le texte était comme une pâte, du plaisir était pris à ce qui n'avait pas même de sens. Ecrire comme les autres, certes, mais en ne faisant que des "e", comme une frise sans fin. Depuis j'ai beaucoup de mal avec les coupures, grandes ou petites. D'abord le flux, ensuite je taille à vif dans le flux, car il faut penser au lecteur, à moins d’être idiote en se disant que l’on n’écrit que pour soi.

  Je ne saurais dire si le plaisir pris au gribouillis provenait du fait d'imiter les autres qui écrivaient déjà pour ne rien dire, ou bien du gribouillage lui même : noircir tout le papier qui se présente en croyant tout dire, c'est grave lecteur ?

   J'avais déjà à l'époque peur du vide, sans doute parce que c'était vide autour de moi. Les autres étaient déjà des imitations, ils ne pouvaient donc pas m'apporter grand-chose. Je me suis peut-être dit que pour les ranimer il faudrait les imiter à fond et passer à travers. Les corps, après tout, ne sont peut-être que des personnages sur la scène du vide : telle fut sans doute mon intuition d’alors.

J'écrivais donc déjà depuis toujours, et d'autant pour rien que ça n'intéressait personne. En partie c'est normal, parce que ça ne valait sans doute rien. Mais peut-on devenir quoi que ce soit, si l'on n'est pas encouragée à partir du rien que l'on a, ou plus simplement à partir du peu que l’on est ? Et je pense encore que par rapport à tout ce qui pourrait être, il n'y a rien, et pourtant le meilleur aurait été fait. Je ne sais pas si la nature a horreur du vide, mais elle est vide elle aussi, c'est pourquoi notre époque veut la remplir, après l'avoir dévastée (il paraît, mais elle s'en charge elle-même). « Ecrire » était donc pour moi une révolte, non pas tant contre le vide, mais contre ceux qui essayaient de le remplir. Contre moi aussi, donc.

Plus sérieusement : j'ai dû commencer réellement à écrire quand j'ai rencontré la philosophie; là franchement dit j'avais de bonnes dispositions. C'est vrai aussi que le concept fait mal, parce qu'il fait le vide et tord le cou au flux. Là encore j'écrivais sans fin, mais des choses intéressantes, du moins je le crois. Sans vouloir faire l'intello je crois que mes rares moments de bonheur en cette vie (il y en a peut-être une autre au-delà des mots), furent, quand je lus la Phénoménologie de l’esprit de Hegel et les Dialogues de Platon. Je dois dire ça, car c'est sans doute là que mon envie d'écrire a réellement commencé. Il y avait là non seulement le concept et la réflexion, mais aussi une sorte d'évolution à partir de l’infime ou du chaos, sinon du rien. Avant ces lectures je n’avais écrit que sur moi, dans le genre de l’autobiographie qui n’intéresse pas, surtout quand on n’est connue que de soi, ou que l’on ne se connaît pas encore soi-même, d’autant que je n’avais pas vraiment d’histoire intéressante à raconter. De toute façon quand on se connaît il est déjà trop tard.
Bref je dois dire qu'à la Fac j'ai cartonné, mais il faut dire également que le Nord est fort en philosophie (surtout la Finlande), donc je n'avais rien d'exceptionnel, quoique brillante comme un soleil de minuit. Mais voilà : le début de l'écriture a commencé en ce point précis, justement parce que sous les concepts il y avait un autre moteur, que je ne pouvais pas arrêter celui-là. Le concept c'est bien beau, ça critique, ça déconstruit et parfois ça échafaude, mais moi je tenais à mes gribouillis de départ, ou à ma branlette si vous y tenez.

Puis j'ai rencontré docteur Freud, qui ne plaît pas à beaucoup, et là ma réflexion hégélienne s'est pour ainsi dire retournée contre moi et a découpé au scalpel mon pauvre moi. Voilà qui n'a pas expliqué mes gribouillis, mais qui a donné une certaine « valeur » au plaisir, et surtout, la pensée a cessé d'écrire à ma place, mais le concept est toujours resté, en tant qu'impulsion. Ou pulsion, car je crois encore aujourd'hui qu'il y va de la pulsion, même dans l'intelligence, bref qui voudrait contrôler cette folie? Ça pense et on n'y peut rien, et c'est comme ça ; bref le concept est aussi libidinal dans les profondeurs, même si en surface il éclaire la nuit de l’abstinence.

Maintenant il faut en venir à expliquer pourquoi j'ai choisi ce genre littéraire, dit de « l’érotique » ou du « porno ». Franchement dit au départ c'était pour m'en prendre à une certaine hypocrisie de la société dite moderne ou plus exactement au clivage qu’elle établit entre le monde des modèles (dans la Haute couture), que je connais plutôt bien, et l'univers du X. Ces deux mondes ne se rencontrent jamais, et pourtant leur opposition franche fait tourner la machine sociale, à défaut de faire tourner les machines (voilà qui ferait pourtant un bon différentiel thermique). C’est comme si notre société disait : j’aime beaucoup ma voiture qui me fait balader, mais son moteur est trop lourd. Je dois reconnaître qu’il y a aussi pour se balader les beaux sentiments, des feuilletons, les films d’horreur, et aujourd’hui surtout la viande froide sous les scalpels et les salles de dissection, un savant mélange du Policier et de la Mort. Encore de belles vocations à venir, pendant que la critique ne cesse de s’en prendre au X. Mais si la mort fait plaisir à voir, quand elle est encadrée par la police, qu’y puis-je ? Ça en dit long sur les fantasmes d’aujourd’hui.

Je me suis dit en simplifiant : puisque le fond de l'air est vide dans cette société du spectacle où il n'y a que des personnages, il faut, d’un côté, des modèles pour que les corps rentrent dedans et trouvent leur forme, et d'un autre côté il faut s'exciter en regardant le X, car à la fois on doute de son plaisir et de ses propres "performances", et surtout, on essaie de se persuader que le plaisir a un sens. Je devins donc un Modèle, mais sans pouvoir arracher le spectateur à la fascination de la mort. Même la beauté et l’artifice ne font plus vraiment recette. Je faillis je l’avoue basculer dans le X, tellement j’entendais sous-entendre que les actrices et acteurs pornos sont des crétins, qui ne sont bons qu’à baiser sans réfléchir, alors qu’en effet il vaut mieux cesser de réfléchir si l’on veut jouir, à défaut de baiser. Moi je trouvais que s’ils n’étaient peut-être pas plus intelligents que ceux qui les regardent, ils étaient certainement plus courageux, ou plus désespérés, ces acteurs du porno. J’ai donc de l’affection pour eux, et ça choque.
Au départ, je me suis dit qu'il y avait beaucoup d’hypocrisie dans le comportement des spectateurs du X qui n’étaient même plus des voyeurs, peut-être alors fallait-il donner du plaisir avec des mots qui disent quelque chose ? Je me suis dit aussi que le lecteur n’avait pas besoin de moi dans d’autres genres : pour ce qui est grave ou dramatique chez l’homme, d’autres on déjà tout dit mieux que moi, et surtout ce que l’on aime entendre, sauver la face de l’homme quitte à lui déclarer ce qui ne fait pas plaisir. Je me dis alors qu’il était peut-être possible de dire la vérité tout en suscitant le plaisir. Dans cette tâche on échoue facilement, mais la vérité est peut-être plus facile à lire qu’à entendre, tel fut du moins mon postulat.

Si d’un côté de l’écran les mannequins ne passent pas complètement pour des idiotes, du moins les stars (« mais quand même... »), sans doute parce qu’elles savent s’effacer sous les habits qu’elles portent ; d’un autre côté les actrices du X passent facilement pour des salopes, sans doute pour cause de bêtise, à moins que ça ne soit l’inverse.  Surtout, j'écoutais les commentaires autour de moi, les commentaires « des gens biens » et des « gens de bien » « au-delà du principe du plaisir », qui essayaient de me faire croire que dans le porno il n'y a pas d'amour, et à peine du plaisir, sans parler des hommes, dont certains allaient même jusqu'à sous-entendre que les performances des X-men étaient truquées.
Pourtant je n'avais pas vraiment rencontré des hommes dit « aimants » ou des maris « prévenants » (autrement dit les vrais hommes) mais plutôt des machines imparfaites et bloquées, et pas sensuelles pour un sous, en général en manque d'amour et incapables de générosité. Par ailleurs je voyais bien autour de moi que les femmes préféraient les imbéciles et les acteurs, plutôt que les hommes intelligents, travailleurs et courageux. Par contre pour les leçons de morale ils étaient tous là, surtout en Amérique, quand ils ne mélangeaient pas la religion avec !

Voilà donc pour la révolte. Mais surtout un jour je me suis aperçue du présupposé de la littérature, le peu de cas que l'on faisait des fantasmes : part négligeable, si on la comparait à la part que prend l'action, ou pour le moins le récit dans la littérature. D'autant, qu'il était entendu, sinon dans la littérature, du moins dans la vie, que ce sont les sentiments qui font bander les hommes; ce qui n'est vrai qu'en partie.

Ensuite je me suis aperçue qu'il pouvait bien y avoir des sentiments à l'origine du désir sexuel, mais que si moi, j’étais désirée par un homme, il n'allait pas de soi, qu'il n'y ait nullement, entre lui et moi, une fausse image de moi, de sorte que si son amour était vrai, il n'allait pas de soi qu'il me fût adressé, et que par conséquent si l’homme authentique bandait bien pour moi il n'en aimait pas moins une autre. Je veux dire, pas nécessairement une autre, mais une image de son invention à lui, qui n'avait rien à voir avec moi. J'ai bisqué au tout début, puis je me rendis compte qu'après tout il n'y avait aucune raison que moi, je sois aimée davantage qu'une autre, mis à part, peut-être, mon esthétique; mais celle-ci ne faisait qu'expliquer le sentiment de l'homme, sans pour autant faire que je sois digne d'être aimée. Au fond, je me dis que je ne valais pas davantage qu'une autre, et d'ailleurs je ne me trouvais pas grand intérêt.

Puis je m'aperçus que moi-même, comme tant d'autres, étions bien incapables d'aimer un homme, pour ce qu'il est, et derechef je m'aperçus que ça serait déjà pas mal, d'en aimer un pour ce qu'il n'est pas, ce dont j'étais encore incapable. D'autant que je ne voyais pas très bien les raisons, de ne pas aimer quelqu'un pour autre chose que ce qu'il est, ou encore, pourquoi ne pas aimer quelqu'un qui n'est rien, ou considéré comme n'étant rien ? De là je me mis également à contrecarrer les femmes qui critiquaient celles qui épousaient des prisonniers, voire, des condamnés à mort.
Bref si les fantasmes et les images étaient source non seulement de désir, mais peut-être d'amour, indépendamment du support, que ce soit pour moi ou pour les autres, je me dis qu'ils ne pouvaient pas  être rien.
En outre j'entendais bien en moi la voix de la censure (qui n’est jamais que la voix unanime des autres) qui me disait : « tu ne vas tout de même pas écrire ça... » Mais je me dis alors que la vérité choque aussi, et qu'on la refoule. Dès lors je compris que pour faire bon chic ou donner dans le genre clean avec les  petites histoires qui « tombent » bien, on en évacuait la vérité aussi, et surtout, on faisait comme si la vérité pouvait être séparable, non seulement du mensonge, mais de la sexualité et des fantasmes. Car, comme on le sait, le rêve, qui comme résultat se présente en images, est à l’origine du texte, et qu’il est structuré par des catégories propres au langage : métaphore, métonymie, hyperbole… Il y a, comme on sait, une pensée du rêve, qui est réalisation de désir et surtout source de plaisir. Il y aurait donc dans les fantasmes non seulement une pensée, mais la pensée elle-même, avant qu’elle ne tombe sous le concept. Nombre d’entre nous savent tout cela en théorie tout au moins, puisque nous sommes tous des enfants de Freud, mais de là à reconnaître aussi que bien souvent ce sont des images (et donc des pensées) plutôt « sales » et d’apparence sans intérêt (au regard de la philosophie et de la science) qui produisent plaisir et érection, il y a encore loin.

Alors je me dis : plongeons, et pourquoi ne pas écrire ça ? Pourquoi ne pas laisser se dévider les fantasmes au fil du courant de la conscience ? Peut-être, me dis-je alors, que ce que je suis est là-dedans, ou du moins, il y aurait là-dedans ce qui me fait réellement jouir, et mon rapport véritable aux choses, et non pas simplement ce qui devrait me plaire.

Et c'est vrai que dans notre société, si l'on ne jouit pas de la morale elle-même, du moins faut-il jouir dans un cadre acceptable, et plus sûrement rendre acceptable ce qui nous fait vraiment plaisir. Par exemple, si je n’avais joui que de meurtres et de perfidies, quelles contorsions bien plus grandes que celles d’un modèle n’eusse-je pas dû faire ? Je me dis enfin que mes fantasmes, en rapport à ceux que l’on pourrait juger bien pires étaient réellement innocents
Je me rendis compte surtout que si je n’étais pas détraquée au point de jouir de la violence ou d’un meurtre, je ne le devais qu’à la chance. Dieu seul sait ce que l’on peut trouver au fond de soi, dès que l’on prend le risque d’oser y descendre. Et qui peut dire si l’on est descendu jusqu’au fond, s’il ne va pas débouler du fond de soi je ne sais quelle horreur ?

De toute façon on ne peut guère empêcher autrui de prendre son plaisir où il peut, voilà une leçon que je tirai de mes lectures de Nietzsche; si on l'empêche de jouir, si on le frustre dans son enfance, il se pourrait fort, autrui, qu'il prenne son plaisir à la vengeance, ou qu'il devienne froid à vous donner froid dans le dos ! Et c’est bien de cela que se repaît le spectateur des films d’horreur, où défilent les serial killeurs et les justiciers démasqués. Donc au final on jouit quand même du pire (de ce qui peut arriver aux autres, et donc à soi), donc pourquoi ne pas jouir du meilleur, et qui n’est que fantasmes, autrement dit presque rien, à l’égard de beaucoup ? Bref je me dis qu'en rapport à ces êtres-là, les « mauvais », même ce que j'écrivais restait dans le « bon » genre, et consommable jusqu’en Suisse. C’est vrai que je verrais volontiers mes livres dans les gares, à côté des tablettes de chocolat.


Quels sont mes projets et mes espoirs à venir ?
 
Eh bien je ne les vois que dans ce que j’écris : dépassement certes, mais ambition de publier. Au risque de prétention, mieux vaut garder l’ambition : non pas la réussite, qui dépend surtout du public, mais peut-être quelque chose comme la vérité qui viendrait à jour. La vérité non pas dite par moi, mais vue à travers moi et malgré moi. Dans ce sens, non, je n’écris pas seulement pour le plaisir ; et si l’on veut tirer quelque chose de soi, il faut penser au lecteur. Et pourquoi lui, le lecteur, ne prendrait-il pas plaisir à ce qu’il lit ? Je ne comprends pas que l’on puisse écrire « pour soi », encore que je ne le fasse pas dans une perspective altruiste. En outre, bien que je ne pense pas les royalties comme une contribution au « travail », puisque tout travail est une arnaque, je ne vois pas comment on pourrait continuer à écrire sans contrepartie, ou plutôt : sans dés- altération il y a péril en la demeure et enfermement. Chacun de nous pense à se dégager de ce qu’il est, ou de ce qu’il a été, ne serait-ce que pour se voir de dehors. C’est pourquoi l’art produit des objets, qui à leur tour s’exposent au regard d’autrui. C’est une banalité de dire ça, et pourtant je vois que certains tirent leur satisfaction en s’auto publiant, à recevoir leur propre œuvre sous la forme de l’objet livre. Je crois que l’objet doit s’expatrier, vivre de sa vie propre, et entretenir le corps sans que ce dernier pense encore à lui, je veux dire à l’objet, au livre fini. Il faut laisser des choses derrière soi, non pour la postérité, mais comme des époques révolues de soi-même, qui cependant parce qu’elles sont mortes viennent alimenter le présent en tant qu’apport financier. Donc j’ai l’ambition de publier, et celle de vendre au point d’en vivre. Si ça choque eh bien tant pis. Je crois simplement que si l’on ne prend pas de risques on ne peut pas « réussir ». De toute façon ce que l’on perd parfois ne valait pas vraiment la peine qu’on le garde, une fois le recul pris.






Qu' aimeriez vous voir sur le site ILV, comme nouveautés ou changement ?

Je ne voudrais pas avoir ici la prétention de dire ce qu’est la littérature. Il y a de très bon livres qui ne sont pas de la littérature, il y a aussi de la mauvaise littérature, qui toutefois vaut davantage qu’un « bon » livre. Une chose est sûre : il y a sur le site des textes qui se rapprochent de la littérature, mais que le processus du top-20 ne détecte pas. Le fait que dans le top tout ne soit pas bon n’est pas grave en soi, mais le fait que manifestement certains ouvrages ne soient pas détectés est plus grave, si toutefois ILV a pour destination de se vouer à la littérature.
Tout cela est une affaire de public, et du genre de public qui fréquente le site. On peut dire à la limite que ce qui est dans le top intéresse ce public-là, et je trouve que c’est déjà bien comme « test » pour ceux qui écrivent ; mais il faut dire aussi que certains textes ne seront pas lus, tout simplement parce qu’ils ne sont pas dans le top-20, simplement parce que c’est le top qui apparaît en première page. Et surtout parce que certains lecteurs ou lectrices dont je suis ne prennent pas le temps, ou n’ont pas le temps d’aller rechercher ailleurs ce qui pourrait être « bon » ou en tout cas mieux leur convenir. Rien à faire, le réflexe c’est de scanner le top, mis à part ceux qui ont la bonne intention d’aller chercher ailleurs. Même s’ils ne sont pas rares, ils ne sont pas les plus nombreux.
C’est dans ce sens que les initiatives comme celles de Trouvère sont importantes, ou bien encore le travail considérable de critique mené par Syhemalik. Là je sais bien que je ne suis pas équitable en oubliant de citer d’autres noms. Par contre je trouve décevant que certains critiques que le site avait captés, comme « Baygon vert » aient été évincés ou plutôt soient partis d’eux-mêmes ; c’est malheureux, car malgré leur « méchanceté » il m’a semblé qu’ils savaient ce que c’est que la littérature, et peut-être ce qu’elle pourrait être (autrement il ne serait pas venu sur le site).
Le danger est donc que ILV se referme sur soi et que certains se leurrent avec une réussite virtuelle, ou plus exactement tournent le dos à une réussite plus large, que nous dirions classique. Si l’on veut battre en brèche les éditeurs classiques il faut prendre au sérieux leur concurrence. En ce sens ILV ne devrait pas être une simple opportunité d’expression mais un tremplin qui, dirons nous, aurait deux faces : une marmite intérieure qui permettrait à des ambitieux de fourbir leurs armes et de trouver aide, outil et soutien, et de l’autre côté sur la face publique devenir une machine éditoriale à part entière capable d’imposer aux éditeurs ce que leur soi-disant « bon » jugement a cru devoir évincer. Entre autre, les éditeurs classiques font surtout un travail de promotion à partir des auteurs qu’ils ont pu découvrir, mais ces mêmes auteurs, quand ils se sont adressés à ces éditeurs-là, étaient déjà formés, ou, disons, s’étaient déjà trouvés eux-mêmes, ce ne sont pas les éditeurs qui les ont aidés à trouver leur voie. Quand vous envoyez un manuscrit chez un éditeur il vous répond par oui par non, bref il ne prend que ce qui l’intéresse, mais ne vous aide nullement à devenir intéressant. Avec ILV, c’est possible, mais attention : intéressant pour qui ? Si l’on tombe dans la congratulation interne au site, alors c’est fichu.

Ce problème provient aussi de la destination commerciale de ILV à son origine. En effet, commerce il y a, puisque les auteurs s’auto éditent et publient leurs livres, qu’ils vont s’en venir eux-mêmes acheter, et c’est très bien puisque tout le monde est content. Mais il faudrait promouvoir aussi à l’extérieur, et aussi faire en sorte que les auteurs qui se sont extériorisés ne quittent pas le site, et s’en aillent ailleurs en s’étant servi de ILV comme d’un tremplin. Ceux que l’on a su aider, il faut encore savoir les retenir, sauf si l’on se contente de l’autosatisfaction de certains, qui par ailleurs deviennent des clients.
Or si l’auteur est acheteur potentiel de ses propres livres, il y a cercle, car c’est l’ambition elle-même qui se mort la queue. Ce n’est pas parce que l’on édite son livre que l’on a réussi. On plaît sur ILV voilà tout. Je comprends que certains auteurs puissent s’en contenter, et pourquoi pas après tout, mais bon, à vouloir de l’ambition sans risque on ne peut pas réussir, et finalement on finit par perdre l’ambition aussi.
Bref il faudrait à la fois solliciter le talent et encourager l’ambition. Or selon moi les auteurs sur ILV manquent d’ambition. Peu importe si la « littérature » est une norme ou un modèle, c’est à l’extérieur qu’il faut s’affronter, et c’est encore par la littérature que l’on dépasse la littérature. Et là, critiquer par exemple un texte pour savoir si sa « chute » est réussie, cela ne va pas suffire, parce que justement ce n’est pas ainsi que l’on parvient à entrer en concurrence avec la littérature, justement, parce que celle-ci n’innove pas seulement par la richesse du vocabulaire, le bien écrire et la bonne « chute » par exemple, mais surtout par la pensée qui est dedans, et qui se traduit, justement, par la remise en question de la forme, comme celle du récit, de la ponctuation, etc. Ce qui est difficile, pour devenir auteur, c’est d’acquérir un regard sur les choses, ou d’inventer un monde qui n’a jamais eu lieu, d’être une mutation vouée à la perte parmi le plus grand nombre, ou encore d’être un hasard qui n’avait aucune chance de réussir à exister, mais qui s’est manifesté quand même, et qui par là séduit la norme parce qu’il est radicalement différent, et fait signe vers un ailleurs possible.

Dans ce sens le fait qu’un Emmanuel Bourdaud soit parti (si toutefois il est parti) est plutôt mauvais signe. Bien sûr, on peut détourner la tête pour éviter de voir ce qui dérange ou ce qui ne va pas, cela ne portera pas nécessairement préjudice au site, du moins pour l’instant ; mais c’est là un message, qui nous dit que l’auteur n’a pas trouvé ici ce qu’il cherchait pour évoluer dans son ambition personnelle.

Je voudrais dire encore un mot, pour finir, sur les pdf. Je ne suis pas dans le secret des dieux, mais je ne comprends pas très bien pourquoi diantre un lecteur, qui aujourd’hui est de toute façon toujours en ligne, achèterait un pdf, alors qu’il peut lire le texte directement sur le site ? Le document pdf apporte certes un supplément de confort à la lecture, mais tout de même pas au point de le payer ; d’autant qu’à l’époque où chacun croit pouvoir consommer sans retour, je trouve qu’il ne faut s’attendre à rien. Cela n’est valable que dans la mesure où il y a un livre papier derrière, mais qui de toute façon vaut plus cher.
Mais je me dis aussi que l’auteur peut choisir d’exposer son pdf gratuit, ou pas, et là on en revient à l’ambition et à l’idée du travail. Je dois dire que bien souvent le document n’est pas achevé, il n’y a donc pas de raison de faire payer le pdf. Je vous rassure c’est aussi le cas de plusieurs de mes textes, le pdf n’est intéressant qu’en rapport à son contenu, mais inachevé du point de vue de la présentation. Il faut reconnaître que présenter un document impeccable demande beaucoup de travail. Mais une fois que l’on y est parvenu, pourquoi dédaigner la contribution du lecteur en affichant un pdf gratuit ? Il y a là-dedans il me semble une certaine altération de l’image de soi. Il ne s’agit pas ici d’une simple rémunération, mais d’une gratification et d’une reconnaissance. Mais pour cela bien entendu il faudrait que le pdf soit parfait.
Cette considération n’est pas négligeable, car une « mise au propre » est plus importante que l’on croit : elle fait non seulement avancer le travail, mais permet de repartir sur des bases solides. Certes il faut voir quelque intérêt à reprendre un texte, car cela donne beaucoup de travail, d’autant qu’il n’y a pas nécessairement, à la clef, ni satisfaction, ni reconnaissance. Et là, les stats des clics peuvent avoir de l’importance, car cela donne envie, lorsque l’on voit qu’un texte est lu, de le retravailler afin de mieux le présenter, et pour finir livrer un pdf impeccable.
Peut-être est-il important de signaler au lecteur l’état du document pdf, afin que ce lecteur soit sûr, s’il l’achète, de trouver un document livré par des professionnels. C’est ainsi, du moins à mon sens, que les stats ou le top peuvent devenir des outils. Ensuite il en ira de la seule responsabilité, à la fois de l’auteur, savoir, s’il veut lâcher son travail pour rien (je lui souhaite que ce choix n’influe en rien sur la considération qu’il a de lui-même), et si le lecteur préfère prendre sans jamais donner en retour. Il faudrait aussi que le lecteur comprenne que la situation matérielle ou affective de certains auteurs n’est pas telle, qu’ils puissent s’échiner à écrire pour rien. Il n’y a qu’à voir le débat infini à propos des téléchargements « gratuits » des œuvres musicales. On ne peut pas sortir de la toute puissance du marketing, avec il est vrai des profits mal répartis, pour s’en aller vers une gratuité ou à un bénévolat absurde, qui ne fait qu’une chose, c’est de signaler les œuvres comme ayant moins de valeur qu’une œuvre payante.

Bien entendu, j’en reviens à ce que je disais précédemment, une telle démarche ne gêne pas ceux qui n’ont pas d’ambition et qui se contentent du seul désir d’écrire ou d’être lus, ce qui reste à leur honneur ; mais cette catégorie nuit aux autres, auquel on sous-entend que, s’ils ne sont pas contents, ils peuvent aller se faire voir ailleurs. Bien entendu on peut toujours se dire : si tel auteur avait vraiment du talent, il ne serait pas là, donc il n’a pas vraiment de talent, donc il peut partir, etc etc...

Je tiens aussi à remercier ici Trouvère, Fred le Borgne, Syhemalik, Pangloss, Plume, Emmanuel Bourdaud, Zénon, Bernard Lancourt, Tina Noiret, Alice labyrinth, wicked, ronan, Fleur Leto, Gerard Feyfant, Vlan dans les dents, Alain Tchungui, le poireau d’ILV, cyrpoete, ronchon, François Baure, Sonia Quemerer, Alain galindo, Mélanie Smit, jack maisonneuve, Martin Christian, et d’autres qui se reconnaîtront, pour leurs propositions, leurs critiques constructives et le soutien qu’ils ont apporté à mon travail.

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Commentaires
M
Qu'en termes élégants ces choses là sont dites!
P
Je ne dirai rien de la partie autobio de cette interview passionnante. L'hégélianisme qui sous-tend l'œuvre de Sonia éclate assez dans ses romans (cf ma critique de "Bloguez-moi") et son idée que mieux vaut un roman érotique qu'un roman "méchant" est très juste.<br /> <br /> Je me concentrerai sur ce qu'elle dit d'ILV.<br /> <br /> D'abord du Top 20. Je l'ai découvert par hasard cette semaine à partir de la nouvelle de FLB "Un amour d'Halloween". Aucun intérêt, et même pernicieux. Ça revient à croire que la qualité d'un film se mesure par le nombre d'entrées au box-office… Ça ne peut que provoquer des effets de médiocrité mimétique (pas quand un bon texte se "retrouve" au Top 20 , mais quand il est écrit pour y être). Le caractère interactif de ILV, en ce qui concerne la recherche de bons textes, tient à l'effet réseau. On part de textes qu'on aime (pour moi : ceux de Francine Ségeste), on regarde qui les aime, on va les lire, on regarde qui ils aiment, on va les lire et ainsi de suite. J'ai découvert Sonia par son commentaire de Syhemalik, j'étais tombé sur Syhemalik à partir de je ne sais plus qui, etc. C'est "l'approche d'Almutazim" de Borges. Trouvère me semble un très bon réseauteur !!<br /> <br /> Ensuite les pdf. Je mets en ligne Francine Ségeste depuis qu'elle est paralysée des doigts. Mette en ligne est déjà un gros travail, ne serait-ce que le B.A BA, éviter les lignes orphelines. Or la mise en page pdf qui en résulte ne respecte pas ce travail sur la mise en ligne. Comme il faudra refaire le boulot d'un vrai pdf de qualité pour la version livre d'ILV-édition (du moins dans la formule à 199 euros), la barbe. Deux mises en page, ça suffit. La politique de Ségeste me semble la bonne : tant que le texte n'est qu'en ligne, il faut offrir le pdf gratuit (parce que lire sur un écran est en soi un barrage pour les yeux fatigués et peut être dangereux); quand le texte est chez ILV-édition, on fait payer et le livre et le pdf de qualité , tout en laissant en ligne. Pour la raison que dit Sonia : l'auto-estime de l'auteur-e. Mais on laisse en ligne gratuitement parce qu'on fait le pari fondamental d'ILV que ça ne nuira pas au livre, mais le promouvra (cf le débat sur les DRM. Je viens de me rendre compte en cherchant "La chanson de Tessa" à propos de "Au revoir" de Ronchon que le premier site proposé par Google avait retiré ce texte pour un problème de droit d'auteur !! aux fous !)<br /> <br /> Ensuite le fait qu'ILV doit s'assumer à la fois comme un atelier d'écriture et comme une maison d'édition de vrais auteurs. Il y a des auteurs "militants" qui vont chez ILV, alors qu'ils ont déjà été publiés à compte d'éditeur, parce qu'ils croient au numérique et au partage, et chez ILV-Edition (sans même passer par la case ILV) parce qu'ils approuvent le projet global : Perline, Ségeste, et last but not least Philippe Aigrain. Et puis il y a ceux qui vont sur ILV parce qu'ils ne pourraient pas (pas encore assez bon-ne-s ou pas assez "introduits") être publiés ailleurs. Ceux là ne font pas "baisser le niveau", si, comme dit Sonia, ils ont l'ambition, grâce au débat des "commentaires", de se hisser jusqu'au niveau où un éditeur leur dira "j'aime, je prends". Ne méprisons pas les éditeurs, ils jouent le rôle des producteurs au cinéma, et lisez ce qu'en dit Jean-Luc Godard.<br /> <br /> Mais est-ce que ILV-édition est en mesure d'être un vrai éditeur ? L'expérience de Francine Ségeste, assassinée par plusieurs "dénicheurs" (équivalent des "lecteurs" des maisons d'édition, ceux qui "choisissent" puis défendent un livre devant le patron) qui appelaient sur les forums à ne pas la lire, au moment même où ILV-Editions faisait la pub de ses premières publications sur le site, semble le démentir, mais après tout la cabale est consubstantielle à la littérature (sauf que d'habitude les cabales littéraires visent les maisons d'éditions concurrentes, pas la sienne.)<br /> <br /> Plus structurellement, je vois des difficultés qui sont la contrepartie du projet même d'ILV: créer une maison ouverte à tous (littérature équitable) en travaillant à l'économie et à l'auto-surexploitation de Boogieplayer et Wicked. Trop léger, même en travaillant 24h/24. Le système "just in time" (zéro-stock) ne marche tout simplement pas et des libraires ou Amazon s'énervent, comme les lecteurs qui commandent en ligne (j'attends depuis un mois un livre d'Agnès Andersen dont le site fait la pub tous les jours !), par ce qu'en l'occurrence zéro-stock n'est pas "juste à temps". Il faudrait recruter un-e logisticien-ne, capable de calcul de proba sur les tirages limités en arbitrant sur les différents frais (stockage/ perte de lecteurs exaspérés par l'attente, etc).<br /> <br /> Ensuite, il faut faire connaître à l'extérieur, donc recruter un-e attaché-e de presse. Et qui présenterait quoi ? Tout, ou "le meilleur d'ILV" ? Cela suppose de bons "lecteurs" qui font la sélection, et je ne suis pas convaincu par ce que je vois dans la case correspondante ua "meilleur d'ILV" (je préfère ce que je déniche en suivant mon réseau).<br /> <br /> Bref, ILV doit (un peu) s'étoffer et assumer son rôle d'éditeur. Ce qui signifie se financer.<br /> Pour le moment ILV est financé comme un "pinticiel" (l'obole versée en "faisant connaître son oeuvre sur ILV") et la grand majorité des auteurs utilisent ce site comme un "graticiel "! Quant à ILV-Editions, il doit être coincé par le choix "croître un minimum en espérant faire ensuite plus de ventes, ou en rester là par sécurité".<br /> <br /> Comment en sortir ? déjà par la contribution bénévole de ceux qui croient en ILV et qui s'expriment beaucoup sur les forums, parfois méchamment contre les nouveaux auteurs et les nouveaux lecteurs/trices (qui sont souvent des auteurs potentiels qui "viennent voir", manuscrits dans leur ordinateurs), au lieu d'utiliser leur temps libre à aider les "prometteurs" à s'améliorer, à multiplier les liaisons vers ILV à partir d'autres sites comme wikipedia, et quand ils sont auteurs, à ne pas oublier de verser leur "pinte"…<br /> <br /> Et surtout ne jamais se dire que si on est chez ILV, c'est parce qu'on ne peut pas être ailleurs, qu'on est un poète maudit etc. C'est la leçon de Sonia (qui part il vrai de haut, culturellement, mais puisse-t-elle convaincre les Jean Genet en puissance sur ILV d'avoir l'ambition d'être de vrais auteurs !)<br /> <br /> A ce moment là, c'est bien, c'est charmant, c'est délicieux, de lire autour de quelques (futures) "grand-e-s" tous ces poètes ou conteurs qui sommeillent en chacun de nous s'exprimer sur ILV, même s'il n'y a pas de quoi en faire un livre à compte d'éditeur diffuser dans les librairies, mais assez pour régaler les ami-e-s. C'est le miracle d'ILV.
Collection du trouvère
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